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21 août 2015 5 21 /08 /août /2015 08:28

Inventeur méconnu, Georges Champe devrait avoir une statue dans toutes les écoles de France. Mais son destin de précurseur dans une époque moralisatrice le conduira à la déchéance. Une triste histoire racontée avec brio par votre jardinier préféré.

En 1974, âgé de dix ans, Georges est un enfant rêveur, caractère souple dissimulant un génie précoce.
Généralement discret et obéissant, il ne manifeste son agacement qu'à l'occasion des réunions de famille. Le motif de son courroux est qu'il ne supporte pas d'être mis à l'écart, avec les autres enfants, sur une petite table où sont servis des jus de fruits, bien loin des adultes.
Banni du salon, relégué dans la cuisine avec les "petits", Georges regarde avec envie ses parents siroter des coupes de Champagne, des whiskies. Les grands fument et rient bruyamment, alors que dans l'espace réservé aux enfants, les plus éveillés évoquent niaisement les exploits hystériques de Woody-Woodpeacker, agaçant volatile en vogue dans les cours de récréation de ces sombres années.

 

 

Georges, qui venait d'achever la lecture du Journal de Gombrowicz et entamait l'intégrale de la Comédie Humaine, jalousait les adultes et leurs conversations d'un haut niveau culturel. Déjà, le rire pétillant des jolies femmes l’émouvait et il fit le serment de combler dès qu'il le pourrait, le fossé protégeant ce club trop fermé de l'irruption des marmots.
Oui, c'est à la fête des quarante ans de tata Huguette, à Issy-les-Moulineaux, ce onze mai 1974 que Georges Champ promit d'établir l'égalité entre les enfants et les grandes personnes à l'apéritif.

 

Les années passèrent et Georges fit de brillantes études. Il ne renonçait pas pour autant à son combat et, à ses heures perdues, il peaufinait son projet révolutionnaire.
Nanti d'un diplôme d'ingénieur agronome, il épousa Josette Haumy, héritière d'un immense verger de pommiers. Il convertit sa femme à son idéal et les deux époux fondèrent la société Champe-Haumy.
Ils lancèrent bientôt la commercialisation d'une boisson à base de jus de pomme pétillant sans alcool (1). Le succès fut immédiat et les enfants se ruèrent sur cette boisson dont le contenant rappelait la forme d'une bouteille de champagne.
Depuis l'apparition de ce breuvage, il n'est pas rare de subir l'omniprésence bruyante de nos chères têtes blondes dans les réunions de famille. Alors qu'auparavant, il fallait se contenter de parler de sujets aussi peu intéressants que la nouvelle Renault ou les performances du PSG en championnat, nous autres adultes pouvons désormais commenter avec subtilité l'évolution de la couleur des cheveux de Violetta ou le dernier aphorisme de Bob l'Eponge tout en veillant à ce que le petit dernier ne se coince pas une cacahuète dans la trachée.
L'égalité des droits parents-enfants est une avancée incontestable pour l'humanité. Merci Georges Champe.
Fort de cette réussite, et quelque peu emporté dans son élan d'inventeur, Georges Champe se lança dans de nouvelles recherches dont l'objectif était de développer un certain nombre de produits de substitution destinés au jeune public.
Il proposa à la vente une sorte de whisky sans alcool pour enfants sous la marque commerciale WHISKID's. Toujours bouillonnant d'idées, il travaillait à une Vodka sans alcool lorsque le Whiskid's fut retiré des rayons des supermarchés sous la pression d'une ligue de protection de l'enfance menée par une de ces mijaurées évangélistes fraîchement importée de Philadelphie.
Cet échec meurtrit profondément Georges, qui se voyait touché au cœur de son combat pour l'égalité des droits des petits. Pour ne rien arranger, son épouse demanda le divorce pour convoler avec un jeune cadre de la société. Ensemble, ils fondèrent une société de cigarettes électroniques pour enfants dénommée Taba-pouet-pouet, qui ne trouva pas son public.
Trahi et bientôt ruiné, Georges disparut sans laisser d'adresse. Selon Interpol, il serait sous le coup d'un mandat d'arrêt international. Les faits qui lui sont reprochés sont d'avoir monté un laboratoire clandestin de fabrique de fausse cocaïne à base de sucre-glace au cœur de la forêt amazonienne. Les documents retrouvés dans l'usine précipitamment abandonnée lors de l'irruption de la police paraguayenne laissent présager que les petits sachets en plastique devaient être commercialisés en Europe sous l'appellation "Coco-cocaïne, la coco des minots".
Triste fin pour celui qui n'avait pour ambition que de rapprocher les enfants des adultes à l'apéritif.

 

 

(1) : il est étonnant que ce produit soit toujours en vente libre et fasse l'objet de publicités diffusées à la télévision alors que les cigarettes en chocolat ont été retirées de la commercialisation en 2005 (http://dnf.asso.fr/La-vente-de-cigarettes-en-chocolat.html).

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